Après avoir entaché les carrières de nombreux sportifs de haut niveau, le dopage serait-il aussi entré dans notre vie ? Après la diffusion du documentaire Se doper pour travailler, Marina Carrère d'Encausse, Michel Cymes et Benoît Thevenet ouvrent le débat en compagnie d'experts.Le scandale Ben Johnson en 1988, l'affaire Festina en 1998, les aveux de Lance Armstrong l'année dernière… Le dopage fait régulièrement les gros titres de l'actualité, gangrénant la réputation d'athlètes prêts à tout pour gagner. Mais ces pratiques ne se limitent plus au sport ; elles ont notamment gagné le monde du travail. Pour faire face à un environnement de plus en plus concurrentiel, de nombreux salariés n'hésitent pas à prendre des produits pour être plus performants. Quels sont les risques pour la santé de ce « dopage au quotidien » ? Sommes-nous tous dopés sans le savoir, à l'instar de Dominique, ce marin pêcheur qui carbure à la caféine ? « Le café et la cigarette, c'est important. C'est ça qui me fait tenir », avoue-t-il. Car, pour assurer 18 heures par jour, 6 jours sur 7, Dominique s'astreint à un régime de 20 tasses quotidiennes de café. Boisson la plus consommée après l'eau par les Français, le petit noir stimule le système nerveux, accélère le rythme cardiaque et réduit la somnolence. « La caféine est un produit dopant, c'est un excitant, souligne le Pr Alain Astier, chef du service de pharmacologie de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil. C'est un peu la cocaïne du pauvre. Après, si on en prend 2 ou 3 tasses par jour, ça va ; si on en prend 50, c'est clairement du dopage. » Autre moyen de se maintenir dans la course : les compléments alimentaires promettant énergie, tonus et vitalité qui ont envahi les rayons des pharmacies. « L'hypovitaminose, en France, ça n'existe pas, rappelle le Pr Alain Astier. Avec une nourriture normale, vous n'avez pas besoin de prendre des vitamines. Dans le meilleur des cas, ça ne va pas améliorer grand-chose ; dans le pire, cela peut avoir un effet indésirable. » Pourtant, près d'un Français sur deux en a déjà consommé. « On est tous potentiellement dopés à certains moments de notre vie, d'après le Dr Patrick Laure, médecin de santé publique à l'université de Lorraine. Quand il y a un petit coup de stress ou de fatigue, il y a cette facilité du recours au produit, d'autant plus que la société véhicule cette croyance selon laquelle cela va permettre d'aplanir les difficultés de la vie au quotidien. »
Le dépistage n'est pas la solutionDans cette recherche constante de performance et de productivité, certains vont plus loin et détournent de leur usage des médicaments, comme le modafinil, leur permettant de travailler jusqu'à 24 heures d'affilée sans ressentir la fatigue. Les risques ? Hypertension artérielle, troubles du rythme cardiaque, délires, décompensation psychotique liés à la privation de sommeil. D'autres encore n'hésitent pas à consommer des stupéfiants pour supporter leur charge de travail, comme 10 % des employés de l'hôtellerie et de la restauration. Une forme de dopage qui mène souvent à l'addiction. Alors, comment lutter contre ces pratiques ? Va-t-on voir se multiplier les tests antidopage dans les entreprises ? Pour Renaud Crespin, docteur en science politique et chercheur au CNRS, « le dépistage est une réponse inadaptée, en l'état, à la question de l'usage du produit au travail, et il ne répond pas aux causes pour lesquelles, dans certaines circonstances, les individus sont amenés, au travail, à prendre un certain nombre de béquilles chimiques, qu'elles soient légales ou non. On occulte toute la problématique des conditions de travail, des horaires décalés, des problèmes hiérarchiques, des objectifs chiffrés à atteindre… »
Magazine Durée 100’ Présentation Marina Carrère d’Encausse et Michel Cymes, avec la participation de Benoît Thevenet Réalisation Bernard Faroux
Documentaire Durée 52’ Réalisation Timothée Dereix